Les projections du renseignement américain à moyen terme, qu’elles soient optimistes ou pessimistes, indiquent deux choses en creux :
1- la volonté de poursuivre la politique de domination mondiale, quitte à provoquer des conflits si la puissance américaine ne suffit plus,
2- la volonté de poursuivre la politique de contrôle social par la peur, qui devient la partie essentielle du discours et des programmes politiques, et qui permet tous les chantages sur le mode « tenez-vous tranquille, sinon ».
Le renseignement américain, pilier du pouvoir profond, n’est pas prêt de changer. Pas la peine d’imaginer 2035 : les pouvoirs se maintiennent de plus en plus contre la volonté des peuples. C’est pourquoi l’information – et son contrôle – devient vitale. Si l’Internet existe toujours, il a des chances d’être sous surveillance électronique absolue. Les hommes libres redécouvriront alors peut-être la relation humaine.
À quoi ressemblera le monde dans vingt ans ? Pour répondre à cette question, chaque président élu américain reçoit, lors de son entrée en fonction, un rapport du National Intelligence Council (NIC), une des nombreuses branches des services de renseignement américains. Nous avons lu la dernière édition de ce rapport intitulé Global trends 2035, rendu public début janvier 2017. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que les perspectives ne sont pas réjouissantes…
« Le risque de conflits, y compris de conflits interétatiques, va augmenter dans les vingt prochaines années », prophétise le rapport. Les intérêts divergents entre grandes puissances, les menaces terroristes, l’instabilité des États faibles, ajoutés à « la propagation de technologies disruptives et mortelles », constituent le terreau de ces menaces belliqueuses. Afin de tuer tout résidu éventuel d’optimisme chez le lecteur, le NIC précise que si le nombre et l’intensité des conflits ont bien baissé au cours des vingt dernières années, la tendance s’inverse depuis 2011.
Cyberguerre et guerre spatiale
La nature des conflits va également changer. Les groupes non-étatiques – insurgés, activistes, terroristes, gangs criminels – vont continuer à accroître leurs capacités d’action et leur rôle dans les conflits à venir. Et l’accès de plus en plus facile à des armes de haute technologie (missiles sol-air, drones, missiles anti-tank portables, etc.) renforce leur capacité de nuisance.
Autre tendance qui devrait se confirmer, celle de la « guerre à distance ». Le développement rapide d’armes robotiques, téléguidées et de haute précision, ainsi que les cyberattaques, ont en commun de nuire à l’adversaire sans mettre en danger des vies humaines. La guerre déshumanisée (en tout cas du point de vue de l’assaillant) devrait donc devenir la norme. La guerre pourrait également s’étendre à l’espace où « le déploiement de technologies antisatellites destinées à mettre hors d’usage ou détruire des satellites pourrait intensifier les tensions mondiales ».
L’effondrement d’États faibles pourrait mettre à disposition de groupes terroristes des armes de destruction massive, notamment biologiques
Pour compléter le tableau, les risques liés aux armes de destruction massive devraient aussi augmenter, estime le NIC. La prolifération nucléaire risque de s’accentuer, notamment dans des États se sentant menacés par les programmes nucléaires nord-coréen et iranien. L’effondrement d’États faibles pourrait aussi mettre à disposition des groupes terroristes des armes de destruction massive, notamment biologiques.
Haro sur les gouvernants
En matière de politique intérieure, « gouverner va être de plus en plus difficile », prévient le NIC. Le divorce entre les populations et leurs dirigeants va s’accentuer dans les prochaines décennies. La capacité d’action limitée d’Etats aux marges de manœuvre fiscales réduites va accentuer l’insatisfaction et la défiance des citoyens. L’emploi continuera notamment d’être une source d’inquiétude pour ces derniers. Les services de renseignement américains reprennent aussi les éléments d’analyse classiques de nombreux prospectivistes : la robotique, l’automatisation, l’intelligence artificielle, l’Internet des objets, la blokchain, les nouvelles énergies et les biotechnologies – en gros tout ce qu’Usbek & Rica passe son temps à décortiquer – devraient complètement bouleverser le marché du travail, les systèmes de santé, l’énergie, les transports et l’économie dans son ensemble.
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La moitié de la population mondiale fera également face à des pénuries d’eau potable en 2035 et la dégradation des sols va s’accélérer
La montée du niveau des mers, l’acidification des océans, la fonte des glaciers et du permafrost, la dégradation de la qualité de l’air « vont changer la façon et les lieux où vont vivre les gens ». En 2035, la pollution atmosphérique devrait être la première cause de mortalité environnementale. La moitié de la population mondiale fera également face à des pénuries d’eau potable à cette date, et la dégradation des sols, qui concerne déjà plus du tiers des terres mondiales, va s’accélérer et dégrader la productivité agricole dans les années à venir. Pour finir, le réchauffement climatique va accélérer les pertes de biodiversité, affectant notamment les forêts, les zones de pêche, les zones humides et les coraux.
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Le monde est-il donc condamné au chaos ? Pas forcément, admet le NIC, qui imagine trois scénarios pour l’organisation du monde dans le futur, selon la façon qu’auront les pays de réagir face à tous ces enjeux.
Scénario 1 : Un monde d’îles retranchées
Dès 2028, le protectionnisme s’est généralisé sur le globe. Des murs se sont dressés partout autour d’États inquiets et sur la défensive face aux vagues migratoires, à la prolifération de la menace terroriste et aux changements climatiques. Le commerce mondial comme le voyage ont largement reculé, surtout depuis la pandémie mondiale de 2023. La croissance est faible, voire inexistante, et la planète segmentée, démondialisée.
- Dans les années 2020, la peur, les migrants et le terrorisme ont fait pousser des murs partout sur le globe. Comme celui-ci, qui séparait déjà en 2011 des colonies israéliennes et un camp de réfugié palestinien